A la suite de notre souhait de fonder une véritable étude du
contenu des jeux vidéo, et non seulement de leur mode de production, après nous
être intéressé aux nombreuses bibliothèques fascinantes dans les jeux vidéo,
abordons à présent la présence des églises. La présence d’églises dans les jeux
vidéo n’a pas vraiment de rapport à une foi quelconque, mais elle n’est jamais
anodine.
Présence des églises
Il y a quatre sortes de jeux : ceux où l’on voit des
églises et ceux où l’on n’en voit pas. Dans les jeux où l’on en voit, il y a
ceux où l’on voit seulement l’extérieur de l’église, sans jamais pouvoir y
entrer, ceux où l’on voit seulement l’intérieur, parce que des éléments
caractéristiques d’une église se trouvent dans une salle (vitraux, chandeliers,
crucifix, musique d’orgue), et ceux où l’on voit l’intérieur et l’extérieur, le
plus intéressant à nos yeux. Il faut également distinguer l'église du temple : ce qui nous intéresse ici c'est le bâtiment, non le culte.
Dans Age of Empires,
le joueur reste toujours à l’extérieur des bâtiments, bâtiments qui créent par
magie et par convention des êtres humains. Il en va de même pour les églises
(nommées « monastères », alors que le bâtiment ressemble bien à un
lieu de culte isolé et non à un ensemble de bâtiments qui servent de lieu de
vie). Notons que chaque civilisation a sa propre forme d’église et que
certaines merveilles, sorte de bâtiment très long à construire mais qui peuvent
vous donner la victoire, sont des bâtiments qui évoquent des cathédrales.
Dans les jeux gothiques à la japonaise des éléments d’église
se retrouvent, comme dans les Castlevania,
les Devil May Cry ou Final Fantasy. On ne sait pas toujours
si le personnage est dedans ou dehors, surtout dans les jeux de plateforme en
2d.
Dans les jeux à la 3e personne, les églises font également
partie du paysage. Notons la belle reproduction de l’église Saint-Patrick de
New York dans GTA IV.
Un sort particulier est fait aux églises dans les Assassin’s Creed, jeux certes violents
mais très ancrés dans une atmosphère religieuse. Parfois on ne voit que
l’extérieur, parfois on a la chance d’entrer. Celle qui nous a le plus marqué
est la Sainte Chapelle de Paris dans Unity, mais on trouve aussi de belles églises dans la
Rome de Brotherhood et l'Italie d'Assassin's Creed II.
Assassin's Creed 2 : la cathédrale de Sienne |
Assassin's Creed Unity : l'intérieur de la sainte Chapelle |
Assassin's Creed Unity : la cathédrale de Paris |
La licence la plus étonnante est peut-être celle de
l’éditeur Lucasfilm des années 90. Les églises sont présentes dans plusieurs
jeux, avec des fonctions très étonnantes, une très remarquable dans Monkey Island, premier du nom, plusieurs
dans Indiana Jones and the last Crusade
et une apparentée dans Loom. Les
églises ne sont pourtant pas dans tous les jeux de cet éditeur : aucune
dans Monkey Island 2, Zak ou Maniac Mansion. La présence d’églises dans les trois premiers jeux
cités permet de les rassembler en un groupe, avec une unité esthétique, probablement
due à des développeurs communs.
Description des églises
Dans les jeux Lucasfilm, les églises sont structurées de la
même manière : un vitrail central en face, sur le mur du fond, et une
salle disposée en symétrie de miroir. Cette structuration est la plus classique
et la plus attendue, c’est celle de la mignonne église du village de l’île de
Mélée dans Monkey Island. Mais cette
structure permet aussi de considérer comme églises des bâtiments qui ne
paraissaient pas, vues de l’extérieur, des églises, comme la bibliothèque d’Indiana
Jones, avec son vitrail, le temple du Graal, avec sa symétrie, mais aussi la
salle du conseil de Loom, avec ses
colonnes et ses vitraux : d’ailleurs la comparaison montre que les vitraux
mignons de Monkey Island sont en réalité
les mêmes que ceux inquiétants de Loom !
Dans Monkey Island l’imagination se
plaisait à imaginer un dessin abstrait, où différents traits et couleurs se
rejoignent en un centre, symbolisant peut-être l’union des différences, ou la
cohérence des mystères. Dans Loom ce
serait plutôt un gros insecte vu de
dos, comme une cigale, de la même famille que l’évêque « Mandible »
qu’on rencontre plus tard.
Document réalisé par nous-même, tout réutilisation autorisée |
Une musique commence lorsque l’on entre : des accords
tenus et harmonieux qui évoquent l’orgue et mettent immédiatement dans
l’ambiance d’une église.
On pourrait penser que cette belle symétrie cache une
intention de système, d’enfermement, mais il n’en est rien : les salles
nazies dans Indiana Jones and the Last
Crusade ne sont pas symétriques ! De plus, si le personnage jouable
entre en général sagement par la porte, d’autres personnages entrent et sortent
par d’autres entrées imprévues : ainsi le vitrail de Loom est-il brisé par une intrusion, de même que le capitaine
LeChuck sort par le toit, après avoir éjecté Guybrush.
Fonction des églises
Elles ont une fonction esthétique indéniable. Si l’on veut
intégrer une belle salle dans un jeu vidéo, on a le choix entre le manoir et
l’église. Les églises sont des lieux soignés, colorés, décorés d’objets
précieux, de fenêtres ornées. Le mieux serait de trouver une chapelle dans le
manoir, ce qui est rare.
église mystérieuse dans The Vanishing of Ethan Carter |
Elles ont rarement une fonction cultuelle désintéressée. Les
plus désintéressées seraient peut-être dans les Age of Empires, où elles favorisent le clergé : l’on peut y
fabriquer des moines ! Ces moines ont des fonctions presque religieuses,
de guérison et de conversion, au service néanmoins de l’impérialisme
constitutif du jeu. Ils peuvent en effet guérir les autres personnages, c'est-à-dire
remonter leur nombre de points de vie, ainsi que convertir les ennemis, non pas
à notre religion mais à notre civilisation : un soldat reste un soldat,
même après conversion, il change seulement de camp. La merveille n’est pas non
plus désintéressée : le mode de jeu par défaut autorise la victoire du
joueur qui aura terminé de construire une merveille et l’aura défendu pendant
un certain nombre d’années.
Bien que nous n'affectionnions pas le genre des RPG pleins
d'effets de lumières et d'items à accumuler tous si géniaux qu’on finit
toujours par les balancer par-dessus bord, et que de ce fait nous ne pouvions
en parler très en détail, le sujet des églises inspire les amateurs de magie.
Notons que dans les Baldur’s Gate, faire
des dons aux moines permet d’améliorer sa réputation,
ce qui nous paraît un bon compromis avec l’esprit de commerce. Dans les Elder Scrolls, on peut obtenir
différents bonus de guérison en se rendant dans des chapelles.
Dans The Witcher, les bâtiments des églises
ne semblent pas vraiment avoir d’intérêt en eux-mêmes. C’est plutôt le
fanatisme des appartenances qui est mis en valeur.
L’église est aussi le lieu de célébration des grandes étapes
de la vie, surtout le mariage, dans Monkey
Island 1 et dans GTA IV. Mais
comme toujours dans Monkey Island,
les attentes sont renversées : alors qu’on attendrait un mariage entre
Guybrush et Elaine, aucun des deux n’est présent au début du mariage. On
assiste en réalité au début du mariage de LeChuck avec une fausse mariée,
consistant en deux singes déguisés. Leur mariage sera troublé par l’entrée du
héros Guybrush, par la porte, et celle d’Elaine, par le toit (enfin il faut
imaginer que c’est par le toit, comme si les personnages étaient dans un cube,
alors que l’espace en 2D, fait de plans superposés, permet une arrivée par le
haut, simulant une profondeur par l’évolution de la taille des personnages). La
relation entre les deux amants se trouve bien plus favorisée sur le pont
au-dessus de la mer, qui relie la ville à l’île. Ce pont permet la première
déclaration d’amour entre les personnages et l’ultime demande en mariage, c’est
lui qui ponctue les grandes étapes de l’amour de Guybrush et d’Elaine, non pas
cette église.
De même l'église de GTA IV n'échappe pas à la loi de la jungle qui règne dans ce jeu. Après le mariage du cousin Roman, la violence ressurgit, avec deux options, selon une décision que l'on a prise antérieurement : soit la fiancée de Nico se fait assassiner, soit son cousin.
De même l'église de GTA IV n'échappe pas à la loi de la jungle qui règne dans ce jeu. Après le mariage du cousin Roman, la violence ressurgit, avec deux options, selon une décision que l'on a prise antérieurement : soit la fiancée de Nico se fait assassiner, soit son cousin.
Le mariage dans GTA IV (captures d'écran YouTube) |
L’église reçoit aussi une fonction de mystère, c’est un lieu
énigmatique, ancien, voire occulte : on y trouve des énigmes dans les Assassin’s Creed et Indiana Jones.
Pour conclure, nous confirmons que les églises dans les jeux
vidéo ne représentent pas un espace sacralisé. En plus de pouvoir entrer et
sortir par les côtés et le haut, l’église de Monkey Island ne préserve pas du mal : un personnage à
l’allure démonique est chargé de célébrer le mariage honni du fantôme LeChuck
avec l’épouvantail d’Elaine. De même dans Assassin’s
Creed, on peut escalader partout sans aucune génuflexion.
Images
Age of Empires
Castlevania
Indiana Jones and the last Crusade
Loom
Les images la plupart du temps sont nos captures d'écran. Pour les images d'arrière fond, ou "background", elles sont fournies par ce site fabuleux : http://adventuregamesbackgrounds.blogspot.fr/search/label/IJ%20Last%20Crusade